Outre-Atlantique, Anne Tyler est la reine de la famille de papier. Elle dissèque les quotidiens des hommes et des femmes avant et après le mariage, avant et après les naissances, avant et après les changements des corps, la vieillesse. Elle les réunit et les sépare, les rassemble pour mieux les voir agir d’une façon qui est propre à chacun dans toutes les banales vétilles d’une existence.
Tous semblables, tous uniques
La maternité, l’indifférence, l’éloignement progressif des enfants, les traumatismes portés du plus jeune âge au tombeau sont abordés avec finesse dans tous ses romans qui sont à la fois semblables et uniques, chacun ayant une saveur particulière qui le différencie des autres malgré des similitudes évidentes. Les parents sont des artistes ou des artisans, les fils sont choyés mais aussi amers, les hommes vagabondent, abandonnent les mères et les épouses, voyageurs solitaires pour beaucoup, les pères sont absents ou étrangers au quotidien des plus jeunes, un pas en dehors de la maison familiale. Les murs de celle-ci servent à de multiples reprises de racines aux héros et aux livres de l’autrice, points d’ancrage rassurant auxquels tous reviennent comme le prédisait Marguerite Duras dans La vie matérielle, bravant la mort pour les bras maternels jusqu’à ne plus le pouvoir.
Des familles d’âmes solitaires
Pourtant, si les dynamiques à l’œuvre au sein d’un foyer sont centrales dans les meilleurs romans d’Anne Tyler – Une bobine de fil bleu en tête, suivi du Déjeuner de la nostalgie ou encore de Nos tendres cruautés, le dernier paru – elle a également à cœur de s’attarder sur la solitude des âmes lorsqu’elles sont entourées. La maladie isole malgré les corps qui se rassemblent pour faire bloc, de même que les meurtrissures de la vie, que les jalousies. Les familles de l’autrice sont autant de lieux de réconfort que de lieux de chagrin, emplies d’une douce-amertume qui serre les gorges tout en faisant sourire. Les ressentiments sont enfouis au creux des cœurs, rejaillissant parfois en une répartie cinglante. Anne Tyler sait en effet saisir les idiosyncrasies et, de fait, créer des personnages authentiques, faillibles, au timbre de voix bien spécifique et aux blessures saillantes. Ils lui servent aussi de miroir tout comme ses récits en leur entier, mise à distance d’encre et de papier pour relativiser, adoucir les tensions et les peurs, tandis qu’elle insère des pointes d’humour, de cet incongru charmant dont elle a le don qui rendent ces livres si vivants, si proches du lecteur.
Dans quels livres d’Anne Tyler plonger ?
Autrice prolifique de plus de quatre-vingts ans, Anne Tyler a une bibliographie conséquente, riche de livres qui se ressemblent sans être similaires. Au-delà de ses classiques et inimitables romans familiaux – ses meilleurs selon ses propres dires –, s’y trouvent aussi, entre autres, une réécriture shakespearienne, un récit de choc culturel, des histoires de fuite et de vie à réapprivoiser.
Elle-même avoue volontiers avoir un faible pour deux livres qui embrassent le rythme du cœur battant d’une famille : Une bobine de fil bleu a ainsi remplacé il y a peu Le déjeuner de la nostalgie, publié en 1982, dans son panthéon personnel. Il faudra d’ailleurs se tourner vers la seconde-main pour ce deuxième roman que Stock ne réimprime plus depuis plusieurs années, tout comme pour dénicher les merveilles dont Tyler tire son inspiration, des nouvelles de Eudora Welty aux titres les plus confidentiels de Faulkner.
Notons aussi comme incontournables le livre qui lui a valu un Pulitzer – Leçons de conduite – ou encore celui dans lequel elle décrypte un mariage malheureux, une décristallisation amoureuse lancinante – Un mariage amateur.
Merci à Pamolico, pour cet article. Pour en lire plus n'hésitez pas à visiter son blog.