Le Pitch
Extrait
J'étais debout sur les épaules de mon père.
Je serrais sa tête entre mes genoux.
J'avais froid. Je tremblais et j'étouffais. Je découvrais dans la salle du Palais des Fêtes cette foule d'hommes qui, le poing levé, nous entourait.
Ils scandaient : «Front populaire ! Front populaire !», ces mots que j'avais entendu mon père crier dans d'autres meetings où, en dépit des protestations de ma mère, il voulait que je l'accompagne.
Mais jamais avant ce soir du mois d'avril 1936 il ne m'avait hissé sur ses épaules, me disant : «Ne te plie pas, reste toujours droit.»
J'apercevais quelques enfants à califourchon sur les épaules de leur père mais moi, j'étais debout, fier d'être le plus grand, fils d'un homme qui était le plus fort.
Il m'avait souvent montré la médaille dorée, gagnée lors d'un concours de gymnastique, en 1913, à la veille de son incorporation dans la marine. Elle représentait une barre fixe qu'un athlète venait de lâcher et bras en croix, corps tendu, il semblait s'envoler.
J'ai pensé, ce soir-là, que nous allions lui et moi nous élever et planer au-dessus de ces hommes qui s'étaient mis à chanter.
Mon père me tenait par la main droite et brandissait son poing gauche.
Il chantait et sa voix vibrait dans mon corps.
C'est la lutte finale
Groupons-nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.
Mon père avait tourné la tête vers moi et, les yeux embués de larmes, répétait : «N'oublie pas ! N'oublie pas !»
Il avait saisi mon poignet gauche et sa main était calleuse.
Je frissonnais comme chaque fois que j'effleurais la peau lisse de son moignon de pouce, le doigt que les pales d'un ventilateur avaient tranché presque au ras de la paume. Mon grand-père déjà avait eu le majeur et l'annulaire écrasés par un tonneau qu'il déchargeait. Il était manoeuvre ou charretier. Mon père était un ouvrier électricien.
«N'oublie pas», a-t-il répété une dernière fois.
J'entends toujours avec émotion ce chant de révolte et d'union où s'exprime une espérance dont je sais qu'elle a été trahie. Mais il a la voix de mon père.
Ce soir-là, au Palais des Fêtes de Nice - une grande salle qui n'existe plus -, L'Internationale avait été suivie par une «autre chanson française» - comme écrit Aragon - La Marseillaise, dont je connaissais le refrain et quelques couplets et que j'avais pris l'habitude - à quatre ans ! - de chanter à pleins poumons. Ma mère hésitait entre le plaisir qu'elle éprouvait à m'écouter et l'irritation de ne pas m'entendre entonner du Verdi.
Revue de presse
C'est le livre que l'on n'attendait plus et qui, pourtant, explique tous les autres. Max Gallo signe, à 80 ans, ses Mémoires. Il trouve le ton juste pour raconter ses failles et ses fêlures...
Aujourd'hui à la tête d'une bibliographie qui compte une centaine de titres, membre de l'Académie française, ancien porte-parole de François Mitterrand, ancien député de sa ville natale, ancien patron de presse, cet historien pourrait pontifier. Non. Ses Mémoires ne sont pas le récit d'une success story. Gallo a trop fréquenté les grands intellectuels de son temps (qui furent aussi de grands écrivains) : l'ombre de Jean-François Revel et de Raymond Aron plane sur ce beau livre. (François Busnel - L'Express, novembre 2012 )
Biographie de l'auteur
Max Gallo a toujours conduit de front une uvre de romancier, d essayiste et d historien. Agrégé d histoire, docteur ès lettres, longtemps enseignant, il est l auteur de nombreux romans, de biographies comme Jaurès, Robespierre, Garibaldi, Napoléon, De Gaulle..., d études d ensemble ainsi Les Clés de l histoire contemporaine, et d essais, Fier d être Français. Il a été éditorialiste à L Express, a dirigé la rédaction du Matin de Paris. Un temps député de sa ville natale, Nice, puis parlementaire européen, il fut aussi secrétaire d état et porte-parole du gouvernement (1983-1984). Il n exerce plus de fonction politique depuis plusieurs années et se consacre tout entier à l écriture. Il