Le Pitch
Présentation de l'éditeur
" Un psychanalyste apathique, c'est un psy qui somnole ?
– Non, c'est quelqu'un qui ne se laisse pas prendre par le pathos.
– Il est indifférent – bravo !
– Il est engagé, au contraire, mais lui ne se laisse pas faire par les bons sentiments.
– Qui se laisse faire ?
– Les psychanalystes empathiques. Ce que ne sont pas les apathiques.
– Je vois. C'est mal, d'être empathique.
– Quand cela permet d'en finir avec toute visée scientifique. L'inconvenance et le mordant de la découverte freudienne sont menacés par une conception anglo-saxonne molle du postmoderne.
– C'est grave d'être un patient postmoderne ?
– Cela veut dire que l'on a un psychanalyste postmoderne. Il s'occupera de votre identité ; il s'occupera des traumas de votre " environnement précoce " (langue de bois pour parler de l'enfance) ; il s'occupera de votre unité. Mais que fera-t-il du scandale psychique qui vous fait vivre, et va du sexuel à la création ? "
Extrait
Extrait de l'avant-propos
Il y a deux méthodes pour résister aux découvertes déplaisantes de la psychanalyse. L'opposition directe - crier à l'erreur ou à la nocivité - est la moins dangereuse parce que la plus flagrante. La seconde est plus insidieuse et beaucoup plus redoutable. On acquiesce aux idées nouvelles, mais à condition de diluer leur signification au point qu'elles puissent être tenues pour inoffensives. «Liberté de pensée», «réajustement de la perspective», «résistance au dogme», «élargissement des points de vue» : outre son usage de slogans séducteurs, la particularité de cette forme subtile de résistance est qu'elle dissimule son caractère négatif en faisant comme si elle oeuvrait pour le développement d'une attitude positive à l'égard de la psychanalyse. Autre trait remarquable : un tel mode d'opposition n'est pas le seul fait d'adversaires extérieurs ; il peut venir de très proches de la chose analytique. D'où la nécessité de parer à ce type d'attaques, en particulier aux États-Unis. Telle sera la tâche de l'International Journal of Psychoanalysis.
Car la déclaration date de 1920 : elle ouvre l'éditorial du premier numéro de l'International Journal of Psychoanalysis. Jones, son très probable auteur, y retrouve les accents déterminés de l'Avant-propos de la rédaction, qui introduisait, après le départ de Jung en 1914, le nouveau Jahrbuch der Psychoanalyse. A cette date, le détournement des concepts analytiques visait déjà à surmonter les résistances du public, en captant sa bienveillance : on ne rompait pas avec la psychanalyse, on annonçait qu'elle avait changé. Six ans plus tard, c'est l'Amérique et sa rhétorique spécifique qui sont sur la sellette.
Rétrospectivement, on se dit que la fermeté de Jones n'a eu d'égale que la justesse de sa prémonition. Certes, aujourd'hui, le paysage a changé. Mais les chemins variés du «postmoderne» en psychanalyse ont mené au même résultat, et l'affect est en passe de devenir la devise d'une pratique qui se veut gouvernée par la sensibilité, gage d'une expérience vivante de la séance et de la cure, aux dépens du sexuel. Bradant la métapsychologie à la vitesse de la confiance accordée aux feelings, plaçant la vérité sous le signe du relativisme subjectif et la pratique sous celui du «dialogue»,l'engagement «empathique» affirme l'existence d'un champ interactif, seul territoire possible d'une pratique mutuelle que les analystes dits classiques auraient omise. Du même pas, le socle théorique, fondateur de la psychanalyse, est congédié au motif d'un kantisme obsolète de Freud - l'inventeur de la psychanalyse ayant revendiqué sa propre «révolution copernicienne» avec, pour conséquence, le fait que la «terre étrangère interne» ne peut rien être d'autre que le fruit d'une construction, nécessaire à l'intelligibilité de faits jusqu'alors non élucidés, et non celui d'une observation directe.
C'est dans le même mouvement que la remise en cause de la valeur scientifique de la psychanalyse - entendons par sciences celles, di