Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Les oubliés de la lande
Extrait
Genèse
Le voyageur arriva épuisé aux portes du village.
Il avait marché de longues heures dans une lande tout à fait déserte, ravinée par les déluges qui s'abattaient souvent dans la région, aujourd'hui mangée de soleil. La godasse achoppant sur de petits cailloux têtus. Il s'était emmêlé les pieds dans des barbelés de ronciers où s'accrochait du crin de sanglier - un peu de fibre de ses chaussettes maintenant. Sa progression était lente. Les stridulations assourdissantes des grillons pesaient comme du goudron frais collé à ses semelles.
L'homme se fiait uniquement aux indications de la vieille.
Il avait cherché en vain un début de sentier, un cairn édifié par un randonneur ou l'empreinte d'un pas de braconnier. Mais aucun chemin carrossable ne traversait ces arpents de bruyère. Pas un sentier, aucune borne. Parfois une piste, celle d'un animal sauvage qu'il avait suivie distraitement pour se prouver qu'il n'était pas encore perdu ni tout à fait fou.
Le voyageur s'arrêta pour reprendre son souffle ; il contempla la distance parcourue et mesura celle qui lui restait à couvrir avant d'atteindre la pinède. La ligne des résineux formait une crête ondulée et noire. Il ferait bon la traverser en ce milieu d'après-midi. Après, il lui faudrait gravir ces massifs rocheux, aperçus ronds et dodus dans le lointain.
Il pensa à des dos de baleines.
L'homme n'était plus tout jeune. Sous le chapeau de paille dont il avait rabattu les bords à l'aide d'un lacet noué sous le menton, un visage maigre où disparaissaient des yeux chassieux d'un bleu presque transparent ; accrochés aux sangles de son sac à dos comme autant de barrettes des doigts aux articulations noueuses, déformés par l'arthrose. Ses jambes arquées l'apparentaient à quelque gros insecte à carapace moirée. C'en était même risible. Avec le poids du sac et les heures de marche, il progressait l'échiné courbée, le regard aimanté par les paillettes de quartz incrustées dans les cailloux, sourd au langage des signes qu'on appelait dans la région des intersignes - à l'évidence, le voyageur n'était pas d'ici.
Totalement indifférent au vol circulaire des corneilles, il ignora la croix de plumes dessinée par un faucon crécerelle au-dessus de sa tête.
Son ignorance du langage premier du monde était l'oeuvre du temps sur la chair. L'oeuvre de la raison sur la conscience animale.
Si quelqu'un avait aperçu la silhouette du voyageur griffant le ciel bleu depuis la lande rousse, il aurait pensé à un sarment tout sec ou aux racines d'une souche fossilisée interrogeant le ciel à l'envers. Peut-être aussi à un épouvantail enlevé par les vents d'hiver et planté là, par hasard, dans cette terre aride et sèche qui n'enfantait plus que des cailloux.
Revue de presse
Les Oubliés de la lande est un conte déraisonnable, troublant, alambiqué, une histoire fantastique et désenchantée...
C'est ténébreux et inquiétant. Eclaboussé d'enfance folle. Et on continue de s'égarer dans l'univers où, depuis La Verticale de la lune (Zulma, 2005), Fabienne Juhel trace ses tortueux chemins. (Xavier Houssin - Le Monde du 20 décembre 2012)
Un mot de l'auteur
Un jour, j'ai emprunté une route qui traçait une diagonale entre une petite ville à la frontière du département du Finistère et une autre ville aux attaches portuaires. J'y ai découvert un paysage étrange, quasi lunaire, fait de rocaille et de bruyère. Le plus étrange est que j'ai roulé sous le soleil de juin plus d'une heure et que sur cette portion de nationale, je n'ai croisé personne. C'est ce paysage embrumé de silence, difficile et rocailleux qui m'est revenu vingt ans plus tard pour devenir le territoire d'une communauté d'hommes et de femmes épargnée par la mort et le temps, oublié des mortels.
On y trouve un maire plein de principes, une couturière échappée d'un cirque roumain, un enfant fugueur, une institutrice peu catholique, un idiot, un forgeron, des amants et des couples,