Présentation de l'éditeur Pourquoi et comment en sommes-nous tous arrivés à ne percevoir, auprès des personnes vulnérables, que ce qui les distingue et les retranche de la collectivité jusqu'à, dans des situations extrêmes, oublier que nous sommes tous semblables, appartenant à la même humanité ? Élisabeth Zucman analyse ici l'intense expérience de la rencontre des personnes polyhandicapées, de leurs parents et de ceux qui les entourent quotidiennement. Partage, transmission, témoignage, ce livre est un engagement humain et politique en faveur d'un savoir vivre ensemble, semblables et différents. Comment trouver un équilibre du regard, ne pas nier ni même sous-traiter la différence pour en réduire l'impact, mais ne pas la laisser envahir tout le champ de la rencontre ? En démêlant l'écheveau complexe des facteurs discriminants, elle apporte des repères utiles pour construire une société plus harmonieuse. Médecin de réadaptation fonctionnelle, Élisabeth Zucman a été conseiller technique du CTNERHI (Centre technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations) dans le cadre duquel elle a publié de nombreux rapports et ouvrages sur ce thème. Elle est présidente d'honneur du GPF (Groupe polyhandicap France). Extrait Extrait de l'introduction Semblables et différents : l'unité humaine en équilibre instable «Il y a quelque chose en chaque homme qui est universel.» René Cassin «J'ai profondément intégré en moi l'idée que l'unité humaine comporte la diversité - des individus, des cultures -et que la diversité humaine comporte toujours l'unité. La complexité humaine, c'est l'unité de la diversité et la diversité dans l'unité.» Edgar Morin «À mes yeux, l'histoire a commencé il y a quatre cents ans quand Shakespeare a fait poser par Hamlet (Acte I - Scène IV) la question fondamentale : «Comment se fait-il qu'à partir du moment où un être est porteur, par hasard, d'une différence, tout ce qu'il est par ailleurs, disparaisse aux yeux de tous ?» Comment la perception d'une différence fait-elle de la personne humaine un étranger, et non plus un semblable ? Telle est pour moi la question que Hamlet reprend dans son monologue universellement connu : «Être ou ne pas être», cette question existentielle qui taraude toutes les personnes en situation de handicap. Le marquage négatif de la personne «différente» me semble avoir pour racine essentielle la peur : une peur intense, individuelle et collective, ressentie instinctivement par les «semblables» confrontés, souvent à l'improviste, avec une personne handicapée ; cette peur est d'autant plus intense qu'elle n'est guère consciente : ni reconnue, ni mise en mots. Elle est «poignante» au sens premier du terme ; je la considère comme naturelle, légitime et riche de sens puisqu'elle s'enracine dans notre humanité même, qui se pressent, plutôt qu'elle ne se connaît, vulnérable et mortelle. En éloignant la personne handicapée ou en s'éloignant d'elle, chacun de nous qui nous pensons«valides», se défend par la fuite de l'obscure menace d'être un jour en fauteuil roulant à la place de l'Autre. De leur côté, les personnes handicapées redoutent plus que tout le regard surpris, apitoyé, parfois paniqué et fuyant que l'on porte sur elles. Elles sont nombreuses à témoigner de cette souffrance si souvent renouvelée. Toutes rêvent d'être regardées et traitées comme tout le monde : en tant que «semblables». Dans un livre récent, La peine de naître (Collard et Paul, 2002), une jeune femme atteinte d'IMC et en fauteuil roulant, qui est aujourd'hui avocate comme sa mère, raconte «sa seconde naissance», le jour où au lycée, le professeur de mathématiques lui a rendu sa copie en usant des mêmes termes et attitudes que pour ses camarades. On imagine mal la violence renouvelée de ces regards inadaptés, emprise impalpable sur la personne handicapée, emprise qui me semble être en partie responsable de la «détresse psychologique» dont le Comité national consultatif des per