Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Comment se prépare, se décide et se met en oeuvre la réinsertion des condamnés à de longues peines ? Comment restituer à la société avec le moins de violence possible ceux qui, précisément, l'ont le plus violentée ? Comment concilier la nécessité d'accorder une chance aux criminels, du moins lorsque cela est possible, avec la souffrance et les appréhensions des victimes ?A ces questions, « Longues peines » tente de répondre en abordant les grand thèmes qui en font un sujet particulièrement sensible, à commencer par le risque de récidive. Ancien magistrat de l'application des peines en charge pendant dix ans des détenus du centre de détention de Muret (Haute-Garonne), Philippe laflaquière explique son travail sous forme de « récits » tirés de dossiers réels, dont certains ont défrayé la chronique, tels que la libération de Bertrand Cantat, ou encore l'affaire ayant ayant inspiré « l'appât », le film de Bertrand Tavernier. Ainsi plongé au coeur des responsabilités écrasantes qui sont celles du juge de l'application des peines, le lecteur est amené à son tour à croire (ou non) au « pari de la réinsertion ».Un pari sur l'humain.
Extrait
1. une perpétuité sans concession
Combattre les idées reçues
D'abord un visage. Un homme croisé, à la fin des années soixante-dix, dans les couloirs du centre de détention de Muret, où j'effectue alors le stage pénitentiaire prévu pour les élèves de l'École Nationale de la Magistrature. Il m'est offert de m'entretenir avec n'importe lequel de ces condamnés «longues peines» de l'établissement, du moins ceux qui souhaitent échanger pendant un long moment avec un futur magistrat. N'importe lequel, sauf un, que la direction m'a demandé de ne pas perturber dans sa solitude tranquille. En quelque sorte, de le laisser reposer en paix, tant sont visibles le délabrement physique et psychique, les ravages du temps passé en prison : plus de vingt ans. Ce condamné aux allures de zombie est l'abbé Desnoyers, auteur de l'un des crimes les plus retentissants des années cinquante. La France est horrifiée et le clergé traumatisé en découvrant ce que le prêtre, dans une association à proprement parler délirante de religion et de sexualité, a fait subir à ses victimes ce 3 décembre 1956. Sa maîtresse de 19 ans, à quelques jours de son accouchement, est abattue de trois balles de revolver 6,35. Après l'éventration de la jeune femme, le petit corps est sorti, puis tué à coups de couteau et défiguré. Et enfin, baptisé par son père.
Du «curé d'Uruffe» qui donna son nom à l'effrayante affaire, je conserverai l'image d'une silhouette malingre aperçue dans un couloir, l'expression de ce vieillard déjà ailleurs, poussant le chariot de distribution des repas. Lorsque je le croise, l'abbé Desnoyer est âgé de 57 ans : on lui en donnerait vingt ou trente de plus. Longtemps différée, opinion publique oblige, la libération conditionnelle, à cette époque de la compétence du ministre de la Justice, lui sera finalement accordée en août 1978, lui permettant d'aller finir ses jours dans une abbaye du Morbihan.
Des années derrière les barreaux qui s'écouleraient sans dommage, voire une cure de jouvence dans une prison «trois étoiles» au motif que les détenus peuvent bénéficier de la télévision. Y aurait-il un quelconque rapport entre la prison et un célèbre club de vacances qu'il se limiterait à cette mention apposée sur certains dossiers à l'issue de l'audience correctionnelle : M.E.D, comme Maintien En Détention. Un système judiciaire et pénitentiaire qui cajoleraient les criminels en oubliant les victimes, ou dans lequel, à l'opposé, rien ne serait fait pour préparer la réinsertion des condamnés. Concernant le monde carcéral, les poncifs ne manquent pas, que tout de même un certain nombre de témoignages et reportages ont heureusement commencé à démonter, restituant une réalité plus complexe, moins caricaturale. L'un de ces clichés a la vie dure, et peut-être plus que d'autres : il n'