Le Pitch
Présentation de l'éditeur
New York, 1930. Comme un pied de nez à la Grande Dépression, commence l'édification du plus haut gratte-ciel du monde, l'Empire State Building. Sur ce chantier colossal se pressent des milliers de vies minuscules. Michael Briody, immigré irlandais déchiré entre son désir de refaire sa vie dans ce pays neuf et son devoir d'amasser armes et argent pour la cause républicaine dans sa patrie, s'échine sur le monstre d'acier. Il n'échappe pas longtemps à la mafia irlandaise, par laquelle il rencontre Grace, qui vit de ses talents de peintre dans une petite maison flottante... Après Le Ventre de New York puis Rackets, Thomas Kelly poursuit sa chronique de la ville du roman noir par excellence : démesure, déshumanisation, violence et corruption caractérisent l'histoire de cette métropole où pègre et politique ont souvent régné côte à côte. Fasciné par les grands chantiers de construction, Kelly nous fait partager cette aventure humaine dans un roman foisonnant, érudit, émouvant, palpitant.
Extrait
New York, 17 mars 1930
Celui-là, disent-il, défiera le temps.
Michael Briody enfonce le talon de sa chaussure dans la gadoue, il écoute les gens d'importance en élégants costumes sombres évoquer des prodiges. Alentour, dans la fosse consternante où il y a si peu de temps encore se dressait l'hôtel Waldorf Astoria, voisinent câbles entremêlés, poutres, tuyaux d'air comprimé déroulés, tas de bois de construction boueux et gros camions. Les orateurs se serrent sur le podium érigé à la hâte où ils se succèdent pour épicer l'air matinal de superlatifs : sublime, gigantesque, épique, magnifique, incomparable, le plus gros, le plus beau, grandiose. Ils dessinent dans le vide des arcs de cercle imaginaires et tous abondent. L'Empire State Building dominera la ligne de gratte-ciel de Manhattan, il écrasera tous les prétendants au titre de bâtiment le plus haut du monde.
D'un regard circulaire, l'ouvrier observe le contingent de ses homologues dont il sait l'impatience que ce cirque prenne fin. À côté de lui, Armstrong hausse les épaules en oscillant sur la pointe des pieds.
- Merde, grommelle-t-il. Regardez-moi ces types. Une bande de fouines. Dix secondes à travailler comme manoeuvres et ils se retrouveraient tous sans exception dans une salle d'hôpital.
Armstrong se glorifie d'avoir débuté apprenti riveteur sur le Woolworth Building, en 1913, d'avoir monté des structures d'acier sur plus de gratte-ciel qu'il ne peut en compter.
- Qu'est-ce qu'on en a à foutre de ces cons ? continue-t-il. Cette ville, je l'ai vue changer sous mes pieds. À New York, putain, je suis le roi du rivet.
Sur les trottoirs qui entourent l'excavation, les badauds font halte. Ils se pressent sur cinq ou six rangs, se bousculent pour apercevoir quelque chose par les trous pratiqués dans les palissades. D'autres se massent à l'entrée des rampes d'accès qui plongent dans le chantier. Certains se rassemblent là dans l'espoir d'une embauche en se disant : Pourquoi pas moi ? Des hommes se hissent sur la pointe des pieds, cherchant à obtenir une vue dégagée. Des enfants sont perchés sur les épaules parentales. Il règne une atmosphère de carnaval, de fête foraine. Des opportunistes vêtus de costumes voyants déambulent à travers la foule pour vendre cartes postales et babioles commémorant l'événement, criant des slogans sur la huitième merveille du monde.
Appareils photo et caméras enregistrent la cérémonie. Jimmy Walker, le maire, chic comme un prince de Broadway, le cheveu irréprochable, s'approche du microphone. Des yeux, il englobe l'assemblée, exhibe un large sourire, se lance dans son discours mais il est interrompu par un effet Larsen sacrilège qui se répercute contre les murs de pierre des fondations et agresse les auditeurs, les contraignant à se plaquer les mains sur les oreilles avec une grimace. Walker, en vieux briscard d'un moyen de communication récent, résiste patiemment au bruit puis, quand il s'apaise, déclare :
- Je n'avais