Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Pierre Guicheney nous invite à découvrir un monde où notre identité prend ses racines les plus profondes. À travers le rythme des saisons et de multiples croyances, il retrace dans cet ouvrage les grandes évolutions qui ont fait avancer les techniques, modifiant souvent radicalement le travail des hommes, leur vie, leur combat.
Extrait
Extrait de l'avant-propos
Un siècle noir et blanc
Aujourd'hui n'est que le cadet d'hier.» L'échine courbée vers la terre, le regard toujours dirigé vers l'horizon et les prémices du beau temps ou de la pluie, supputant en permanence le rapport que pourrait lui offrir telle jument, telle coche (truie) pleine, tel lopin de terre, tel pommier, telle semence ou tel engrais, tel pied de vigne, le paysan français, ancêtre de la majorité d'entre nous, n'a jamais eu la vie facile. Seules quelques périodes sont bénies comme la fin du XIXe siècle, une partie de l'entre-deux-guerres, la Seconde Guerre mondiale elle-même (avec le marché noir ou les «colis familiaux»), les années 1960 et 1970. Après des siècles de servage ou de quasi-servage, pour certains, et de privations, pour beaucoup, il a fini par s'enrichir (relativement), au prix d'une adaptation permanente, de toujours plus de travail, de son acculturation, de sa raréfaction, de l'élimination impitoyable de beaucoup, de sa solitude, d'emprunts et d'un nouvel asservissement appelé crédit hypothécaire. Aujourd'hui, le paysan se hâte du matin au soir au volant de son tracteur, fait comptes sur comptes, remplit des kilomètres de formulaires pour toucher ces indemnités compensatoires européennes qui sont devenues un complément financier essentiel, remercie le ciel quand son épouse, qui travaille à la ville, veut bien l'aider pour la paperasse. C'est un petit entrepreneur. Il est diplômé bac plus deux, sinon les banques ne lui accordent pas de crédit. Il vit dans l'insécurité permanente, l'oeil rivé non plus sur l'horizon mais sur les cours du porc, du lait, du blé, du maïs, du vin. Il ne connaît plus la consolation qu'apportait à son arrière-grand-père la conscience de partager son sort avec une masse de semblables, une contrepartie que lui a grignotée irrésistiblement le siècle de la finance.
Le paysan «ancien», nous l'idéalisons volontiers, mais nous le connaissons peu. Il ne consommait pas, il produisait pratiquement tout ce qui le nourrissait et fabriquait lui-même une grande partie de ses outils : plus qu'un choix, l'autoconsommation, l'autarcie et la polyculture restèrent jusqu'à il y a peu le seul mode de vie possible pour les populations campagnardes. Ce système les sauva des grandes tempêtes économiques et historiques, lorsqu'il y avait assez de terre - il ne faut pas oublier que beaucoup ne possédaient rien ou si peu. L'homme s'occupait des champs ou des vignes et du bétail, la femme de la ferme, du potager et de la basse-cour.
Au fond, la vie rurale n'a cessé de muter depuis l'invention de la photographie au XIXe siècle et sa diffusion sur tout le territoire français vers 1860. En même temps qu'elle en conservait la trace en ombres et lumières, l'avènement de l'image argentique a accompagné celui de la modernité et la disparition progressive des us et coutumes traditionnels de nos campagnes. Dans les années 1960, la mécanisation totale de l'agriculture, l'enrichissement des paysans et l'amélioration notable de leurs conditions de vie, l'arrivée de l'automobile et de la photographie couleur (et, un peu plus tard, de la vidéo) ont coïncidé avec la fin de ce cycle rapide de transformation complète des modes de production et des modes de vie. Au XIXe siècle, les villes et les grands travaux (irrigation, drainage, défrichement, reboisement, voies ferrées) vident les campagnes des micro-exploitants, journaliers, semi-vagabonds et miséreux. Ce mouvement d'exode, combiné au morcellement des grandes exploitations, favorise ceux qui restent par l'agrandissement des surfaces cultivées. Les images noir et