Présentation de l'éditeur L'Hermine. La Sauvage. Le Voyageur sans bagage. Eurydice. Extrait PREMIER ACTE Le hall d'une maison de campagne, largement ouvert sur un jardin. Il fait nuit. En scène, Mr Bentz et Frantz debout l'un en face de l'autre. BENTZ, avec un geste. -Je suis bien heureux d'avoir eu votre visite. Vos amis sont charmants. FRANTZ. - Monsieur Bentz, vous ne pouvez pas me laisser partir comme cela ! BENTZ. - La petite cousine est délicieuse et si douce, dirait-on. Moi, j'ai rêvé d'une femme douce; Mrs Bentz est un démon. FRANTZ. - Si je n'ai pas d'argent après-demain, mon affaire tombe et c'est ma dernière chance qui s'en va. BENTZ. - Vous êtes jeune. FRANTZ. - Non. BENTZ. - Petit romantique ! Une pause. On entend le bruit d'une voilure qu'on essaie vainement de mettre en marche. Que font vos amis ? Ils ne peuvent toujours pas mettre la voiture en marche. Quelle idée d'avoir un tacot pareil ? FRANTZ. - Nous sommes pauvres. BENTZ. - Moi, je n'ai pas de voiture. Frantz hausse les épaules. Ne haussez pas les épaules. Je ne suis pas assez naïf pour jouer les harpagons. Je sais bien que je pourrais avoir plusieurs automobiles si je voulais ; mais avant d'en arriver là, j'ai monté dix affaires; j'ai été ruiné dix fois; j'ai recommencé dix fois, monsieur Frantz. FRANTZ. - Je n'ai pas le loisir de recommencer dix fois. Il faut que cette affaire réussisse et que j'aie de l'argent tout de suite. BENTZ. - Je comprends parfaitement votre désir. Mais patientez. Pourquoi vous adresser toujours à moi et non à la patience ? FRANTZ. - Vous répétez cela depuis deux ans. Si je vous disais que je n'en peux plus et que je suis à bout ? BENTZ. - Je vous répondrais que tous les jeunes gens disent cela. FRANTZ. - C'est bien. Un silence. BENTZ. - Vous allez vendre ? FRANTZ. - Demain. BENTZ. - Je ne suis pas un monstre. J'aime rendre service. Je serai peut-être acheteur, si cela peut vous être utile. Oh ! pas très cher. Vous n'en trouverez pas grand-chose de cette affaire-là. Même pas ce que vous y avez mis. J'ai bien peur qu'elle ne vous laisse que des dettes... FRANTZ le regarde et murmure. - Canaille ! BENTZ. - Pas de gros mots. Une cigarette ? FRANTZ. - Vous êtes riche, vous, monsieur Bentz, laissez-moi cela. Moi, je ne veux gagner qu'un peu d'argent parce qu'il m'en faut un peu pour vivre et pour être heureux. BENTZ. - Vous êtes un sentimental. Quatrième de couverture Ce volume contient : L'Hermine (1931), La Sauvage (1934), Le Voyageur sans bagage (1936) et Eurydice (1941). Biographie de l'auteur Grand dramaturge, Jean Anouilh est né à Bordeaux en 1910 et mort à Lausanne en 1987. Issu d'un milieu très modeste, fils d'un tailleur et d'une violoniste, il se passionne très tôt pour le théâtre. Un soir de 1928, émerveillé par la représentation de "Siegfried" de Jean Giraudoux, il décide de se consacrer à l'écriture théâtrale. Il devient le secrétaire de Louis Jouvet qui dirige la Comédie des Champs-Elysées et interrrompt ses études de droit. Son oeuvre est très abondante (quarante-cinq pièces dont une trentaine ont été montées et interprétées par les plus grands comédiens), passant du romantisme à un réalisme inquiétant ou mythique, du pessimisme à la fantaisie. Citons "Le voyageur sans bagage", "Leocadia", "L'Hermine", "Antigone", "Colombe", "L'alouette", "Ornifle", "L'invitation au château", "Le bal des voleurs".