Le Pitch
Présentation de l'éditeur
On a voulu, en cet essai, s'interroger sur les passages reliant poésie, fable et philosophie dans le devenir singulier de l'oeuvre de La Fontaine. Sous les images amusantes et gaies du « Fablier » diffusées par toute une tradition, surgissent alors des paysages plus sombres et plus secrets, l'appropriation de la fable ayant lieu ici sur fond de crises diffuses affectant le statut même de l'imagination poétique et les pouvoirs de la parole. Entre Clymène, comédie insolite des débuts, qui offre le spectacle de l'ennui des Muses pressentant l'usure, voire la mort d'une certaine poésie lyrique, et, à l'autre bout du labyrinthe, les fables du plaisir pur et de l'évidence reconquise, que purent apporter certaines formes de pensée à l'activité poétique de La Fontaine, en cette longue lutte avec l'ennui qui menace désormais le lyrisme ? Il apparaît alors qu'en cette trajectoire complexe des variations philosophiques d'une grande subtilité ont pu aider La Fontaine à inventer certaines réponses fabuleusement vivaces, donnant à l'antique genre de l'apologue un potentiel heuristique, éthique et esthétique sans précédent. À l'occasion d'une nouvelle édition, enrichie, du présent ouvrage, on s'est attaché à réexaminer de ce point de vue la vitalité déconcertante des petites expériences de pensée proposées par la Fable dans le « Jardin imparfait » de Jean de La Fontaine. Expériences qui nous situent aux antipodes des leçons de morale plus ou moins conformistes que l'on a cru si souvent y trouver ; exercices de lecture qui peuvent constituer autant d'antidotes puissants à ce prêt-à-penser en matière de morale que Nietzsche nommait la « moraline ».
Extrait
Extrait de l'avant-propos
Cet essai trouve son origine dans un projet plus général qui a constitué l'axe majeur de recherches antérieures - l'étude des relations entre littérature et philosophie au XVIIe siècle : comment décrire ces relations, comment interpréter ces parasitages, interférences, affinités diffuses, actions à distance, rejets polémiques, transpositions, déviations, malentendus, contresens... entre deux domaines qui ne peuvent être alors ni totalement séparés, ni totalement confondus ? À bien des égards, il fait suite à un livre précédent', où je m'interrogeais sur le sens et la force du renouveau de l'épicurisme au seuil, puis au coeur même de l'âge classique, et sur ses divers lieux de passage entre discours philosophique et invention littéraire.
Dans Philosophies de la Fable : La Fontaine et la crise du lyrisme, j'ai éprouvé le besoin d'envisager ces interférences d'un autre point de vue ; et, à la lumière de l'épicurisme de Bernier ou Gassendi, de comprendre comment La Fontaine put trouver dans ce corpus philosophique complexe et aujourd'hui encore largement méconnu des modèles souples et féconds, donnant à la Fable un statut heuristique, éthique et esthétique nouveau. Comment, en un moment de déchéance pour la poésie en général et d'ennui pour le lyrisme en particulier, la pensée néo-épicurienne du plaisir permit à La Fontaine d'esquisser certaines réponses singulièrement vivaces, poétiquement, fabuleusement. En d'autres termes : comment, loin d'être l'un des adjuvants de la crise que traverse alors le grand lyrisme (comme l'a affirmé hâtivement une certaine histoire littéraire), l'épicurisme a pu être mobilisé par La Fontaine pour lui résister. Mais par des voies obliques, parfois extraordinairement subtiles et au prix de bien des déplacements, dont il importait de prendre la mesure.
Poser la question des rapports entre La Fontaine et la philosophie, entre poésie, fable et philosophie dans le devenir singulier de son oeuvre, c'est tenter de ressaisir les mouvements par lesquels l'écriture des Fables, même en ses aspects les plus «galants», put s'associer à l'émergence de «nouvelles images de la pensée», et cela sur fond de tensions et de crises.
Tensions et crises qui ne tiennent pas seulement à des mutations politiques, assurément déc