Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Mathieu Guel, journaliste dans un quotidien français, est envoyé en reportage à Nazareth, la capitale des Arabes d'Israël. Il découvre que la ville, visitée au pas de charge par les pèlerins, fut celle de Joseph, le père adoptif du Christ selon les Évangiles. Peu à peu, l'ombre de ce personnage ignoré par l'Histoire grandit et le destin de Joseph va bouleverser la propre vie de Mathieu.
Joseph n'est-il pas l'écho ancestral de ces hommes d'aujourd'hui amputés de leur identité de père ? Ces beaux-pères, pères divorcés, pères adoptifs ou disparus qui, un jour, ont été effacés de la photo de famille ? Pour quelques rares qui expriment publiquement leur révolte, combien souffrent en silence d'être des pères confisqués ?
Mathieu décide de reprendre les rênes de sa vie. Happé par la complexité et la violence de Nazareth, ville blessée comme lui, il va tenter d'exorciser sa douleur et de retrouver le chemin vers lui-même.
Jean-François Fournel est écrivain et journaliste. Auteur notamment de Mortels enfantillages (prix Cognac 2004) et Rouge sang, il a également écrit Le Coupe-ongles, un essai sur la schizophrénie de son fils aîné.
Extrait
Je ne savais que penser de ce regard.
Mon travail m'avait pourtant conduit bien souvent à jauger mes semblables en une fraction de seconde. Un long apprentissage pas toujours très reluisant, mélange de suffisance, d'expérience et de désespoir, qui permettait surtout de gagner du temps, facteur essentiel dans le métier que j'exerce depuis plus de trente ans avec un succès relatif. Je suis reporter dans un quotidien de moyenne importance. Au cours des centaines, des milliers peut-être, de ces rendez-vous à la fois d'une stupéfiante intimité et d'une totale vacuité qu'on appelle des interviews, j'avais presque toujours appliqué ce même principe de superficialité : à juger vite, on est presque toujours gagnant, question de statistique.
Alors pourquoi le regard de cette femme de 60 ans, avec un accent italien, qui m'avait fait les honneurs de la chambrette donnant sur la basilique me résistait-il ? Peut-être était-ce sa tenue qui brouillait mon radar... Ce voile sombre au discret liseré crème affolait ma boussole, plus habituée aux actrices de seconde zone ou aux Rastignac du sport ou de la politique qu'aux bonnes soeurs ayant fait voeu de pauvreté sûrement, de chasteté, sans doute, en tout cas d'hospitalité.
«Vous voilà chez vous. N'hésitez pas à descendre à la réception s'il vous manque quelque chose, sauf entre 22 heures et 22 h 30 car nous serons à l'office.» «Mais vous pouvez nous laisser un message écrit que nous trouverons au retour», m'avait-elle lancé en me quittant, avant de se raviser. D'un geste élégant exempt de toute coquetterie, elle avait cambré son corps le long du bois clair de la porte pour l'empêcher de se refermer. «Bienvenue dans le mystère de Nazareth», m'avait-elle lancé.
Puis elle avait disparu pour de bon.
Si j'avais pu imaginer ce qui se cachait derrière ces quelques mots anodins, j'aurais repris le gros sac de voyage que j'avais posé à côté de la petite table composant l'unique mobilier de la pièce, en dehors du lit et d'une chaise de mauvais bois. J'aurais refait le chemin en sens inverse, réutilisé cet ascenseur ultramoderne qui m'avait surpris, dans cet établissement à mi-chemin entre l'hôtel et le pensionnat, puis j'aurais affronté le sourire compréhensif, forcément, de soeur Sabina.
Sans doute aurait-elle consenti à me rembourser une partie des quatorze nuits payées d'avance. Peut-être aurait-elle appelé un employé obligeant, et surtout propriétaire d'une voiture, pour me raccompagner à la gare routière où le taxi collectif m'avait déposé une demi-heure auparavant. Ou alors, elle aurait laissé la grosse porte de fer claquer en douceur derrière moi, me rejetant dans la venelle défoncée donnant sur Casa Nova. Après avoir desservi la basilique de l'Annonciation - le lieu où Marie aurait reçu la visite de l'ange - puis la maison des F