Le Pitch
Présentation de l'éditeur
«Je ne suis plus coupée en deux. Je n'ai plus peur de me perdre.» C'est Nur qui prononce ces mots, dont le prénom veut dire lumière. Il y aussi Sacha, Tonio, Douangchanh, Yazid ou bien Jules... Ils sont partis, de gré ou de force, et ont dû apprendre à faire la paix avec leurs origines, leurs histoires et leurs cultures pour, ailleurs, se bâtir un avenir. Dix histoires, dix exils, dix espoirs qui, par l'intime, embrassent un monde où désormais, la mobilité fait loi. Un monde dans lequel, plus que jamais, pour devenir un autre, il faut comprendre celui que l'on a été.
Isabelle Collombat est née en 1970. En août 1994, tout juste diplômée de l'École supérieure de journalisme de Lille, elle a collaboré à Radio Gatashya, une radio à vocation humanitaire pour les réfugiés rwandais de Goma (Zaïre). Elle vit aujourd'hui dans l'Ain et collabore à la conception de manuels d'apprentissage du français pour une maison d'édition allemande.
Extrait
Au tabac-presse, je demande un carnet de timbres à la place de maman qui sourit à l'employée en secouant la tête.
- Merci, prononce seulement maman, mais elle le répète à plusieurs reprises, en hochant la tête, débordante de reconnaissance, à tel point que la jeune femme à couettes commence à la regarder de travers et à s'interroger.
N'a-t-elle fait que vendre un carnet de timbres ? Ou s'est-elle, à son insu, rendue coupable d'une tout autre mission bien plus compromettante ?
Maman fait des complexes. Elle estime que je parle français beaucoup mieux qu'elle. Dès qu'elle le peur elle m'appelle à la rescousse. Et moi, cela ne me gêne pas de lui servir d'interprète.
Je glisse sur le trait jaune tout luisant de pluie qui court le long du trottoir comme un ourlet de satin sur une robe de lin. Les yeux rivés sur la pointe de mes ballerines mauves, je me concentre pour ne pas déborder, ne pas me laisser emporter par mon cartable qui penche dangereusement du côté des voitures. Je poursuis à cloche-pied. Les grosses fleurs brodées sur ma jupe dansent autour de mes jambes. Par instants, je m'accroche à la vieille poussette que maman fait avancer à côté de moi dans un raffut grinçant de métal et de caoutchouc. De l'autre côté, ma petite soeur Zeynep traîne les pieds, encore tout ensommeillée. Elle ne veut pas aller à l'école. Je nous raconte des histoires d'enfants perdus, de géants croqueurs de lunes et de princesse amoureuse d'un petit pois. Dans la poussette, mon petit frère s'est rendormi, bercé par le roulement et mes récits insensés. Maman s'esclaffe. J'aime entendre jaillir son rire. Je la trouve particulièrement belle ce matin. Je l'observe du coin de l'oeil. Son visage plein et rond, légèrement doré, gainé d'un voile vert émeraude.
Ses paupières maquillées de poudre rose, soulignées d'un trait de khôl. Quelques paillettes perdues scintillant sur ses joues. Sa bouche charnue qui rebique de chaque côté. Maman a un port de reine. Elle reprend avec moi un refrain que je fredonne entre deux histoires : Dandini dandini dastana...
Quatrième de couverture
Chacune des nouvelles raconte le jour où l'existence d'un enfant ou d'un adolescent bascule.Un moment minuscule qui fait dévier la trajectoire de toute une vie.A l'origine de ce bouleversement, un voyage, une migration, un exil tout proche ou déjà ancien.