Mémoires d'un gentleman excentrique est un chef-d'œuvre de la littérature humoristique. Toute la dynastie Waugh apparaît dans ce livre, à commencer par le monstre sacré de la famille, Evelyn, avec lequel l'auteur entretient une relation particulièrement tumultueuse. "Je me demande bien ce qu'on pourra faire de ce pauvre garçon ", se lamente l'écrivain en observant les premiers pas que fait dans la vie son chérubin de fils. Nul doute qu'il n'ait eu l'idée - à l'instar du père de son ami P. G. Wodehouse - " de chloroformer son vaurien d'héritier à la naissance ". Bron néanmoins survivra au douteux privilège d'être né dans une famille aristocratique fauchée et se distinguera, au cours d'une manœuvre militaire à Chypre, en se blessant grièvement avec une mitrailleuse puis, quelques années plus tard, à Oxford, par son indiscipline. Sa gloire très tôt établie sera consacrée avec ce livre, qui le classe parmi les grands auteurs mémorialistes de la littérature anglaise du XXe siècle. Son art incomparable de l'ironie, sa maîtrise meurtrière de la formule et l'inébranlable lucidité de son esprit ont à la fois enchanté et désespéré des millions de lecteurs et d'auditeurs outre-Manche et outre-Atlantique. " Sa présence était écrasante. Il n'était pas bien grand - à peine un mètre soixante-sept en chaussettes -, et ce n'était qu'un écrivain, après tout, mais j'ai vu trembler devant lui des généraux ou des ministres d'un mètre quatre-vingt-quinze exsudant la suffisance par tous leurs pores. Quand il riait, tout le monde riait; quand il sombrait dans la dépression, tout le monde marchait sur la pointe des pieds en essayant de faire le moins de bruit possible. En fait, il a passé sa vie à rechercher la société d'hommes et de femmes qui n'auraient pas peur de lui. Cela peut paraître assez triste quand on songe que tout ce qu'il désirait, au fond, c'était plaisanter, rire, s'amuser - bref, égayer cette vallée de larmes grâce à un peu de fantaisie. Avant tout, il fallait rire ensemble de la folie du monde. " (Sur Evelyn Waugh.)