Le Pitch
Présentation de l'éditeur
«J ai refait tout le chemin depuis le début, de l'enfance au séminaire, de l'Action catholique ouvrière à la lente ghettoïsation de la Tour du Renard. Ce qui m'a permis de comprendre comment avait pu naître l'effroyable malentendu d'Outreau, et comment je m'étais retrouvé pris dans les filets d'une institution judiciaire complètement ignorante de la réalité quotidienne des gens les plus pauvres, et dramatiquement claquemurée dans ses pompes et ses certitudes.»
Dominique Wiel
Un document exceptionnel écrit par un homme sincère et singulier, un prêtre sorti debout de l'affaire d'Outreau. Un destin qui nous ouvre les yeux sur notre vulnérabilité. Un livre contre les égoïsmes et l'indifférence.
«(...) une leçon de résistance.»
Pascale Robert-Diard - Le Monde
En collaboration avec Lionel Duroy
Extrait
Voilà bientôt soixante-dix ans que je m'avance dans la vie à tâtons, guidé par l'intuition que Dieu est sans doute la seule réponse à la folie et au désarroi des hommes. C'est en Algérie, pendant la guerre, que j'ai décidé de devenir prêtre, comme une riposte à ce dont j'étais le témoin. Bien des années plus tard, c'est en constatant combien le discours de l'Église était éloigné de ce que vivaient les gens autour de moi que j'ai pris la décision de quitter ma paroisse pour devenir prêtre-ouvrier. Ces engagements, je les ai pris sans trop réfléchir, sans chercher à les expliciter, parce qu'ils s'imposaient, tout simplement.
C'est dire que jamais je n'aurais écrit sur ma vie, sur ma foi, sur mes doutes, si je ne m'étais pas retrouvé embarqué dans l'invraisemblable fiasco judiciaire d'Outreau. Le 14 novembre 2001, j'ai été interpellé chez moi, puis mis en examen et écroué pour «viols et agressions sexuelles aggravés sur mineurs de moins de 15 ans». Bientôt, nous allions être dix-huit dans la même situation, femmes et hommes, innocents pour la plupart, mais tous suspectés par le juge d'instruction Fabrice Burgaud d'être membres d'un réseau international de prostitution de jeunes enfants. Ce soupçon m a valu, comme aux autres, de faire de longs mois de prison - plus de neuf cents jours en ce qui me concerne -, avant que la cour d'assises de Paris ne réduise «l'affaire du siècle» au triste fait divers qu'elle aurait dû rester. C'était en novembre 2005, presque quatre ans jour pour jour après la vague d'arrestations conduite par M. Burgaud.
Longtemps manoeuvre sur des chantiers, j'ai été le témoin, pas toujours silencieux, des injustices commises contre des ouvriers. Je me sentais à ma place parmi eux, bien plus à ma place que lorsque j'étais vicaire en paroisse. Oserai-je écrire que j'ai vécu comme une grâce particulière le fait d'être parmi les victimes d'Outreau ? Pour moi, dès le début, cette histoire ahurissante n'était qu'une injustice de plus, et je me suis découvert secrètement satisfait qu'un prêtre soit dans le lot de ces personnes qui allaient être traînées dans la boue, à longueur de colonnes, durant des années. Dans le lot des «salopards», comme devait nous qualifier le maire d'Outreau. Cette satisfaction m'a sauté aux yeux le jour où un quotidien a titré : «Un prêtre-ouvrier accusé de pédophilie». Bien sûr, je me suis senti immédiatement désolé pour les prêtres-ouvriers qui n'avaient pas besoin de ça, puis pour les Wiel, mes frères et soeurs, ma famille, puisque notre nom était largement cité. Mais ce titre a symbolisé pour moi une forme de reconnaissance. A travers moi, l'Eglise, ou plutôt le Seigneur, se retrouvait dans la tourmente, non pas du côté des prétendus justiciers, mais du côté des présumés coupables. Ce n'était pas une place indigne à mes yeux.
Ces trente et un mois de prison m'ont beaucoup appris, sur l'état de notre société, sur le pouvoir des institutions, sur l'impuissance d'un homme seul à se faire entendre. Je pense à la mort en prison de François Mourmand, qui répétait vainement qu'il était innocent. Aux larmes et aux cris de désespoir d'Odile Marécaux, que les gen