Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Kafka Tamura, quinze ans, s'enfuit de sa maison de Tokyo pour échapper à la terrible prophétie que son père a prononcée contre lui. De l'autre côté de l'archipel, Nakata, un vieil homme amnésique décide lui aussi de prendre la route. Leurs deux destinées s'entremêlent pour devenir le miroir l'une de l'autre tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d'un murmure enchanteur. Les forêts se peuplent de soldats échappés de la dernière guerre, les poissons tombent du ciel et les prostituées se mettent à lire Hegel. Conte initiatique du XXIe siècle, Kafka sur le rivage nous plonge dans une odyssée moderne et onirique au cœur du Japon contemporain.
" C'est cruel, beau, cru. Haruki Murakami nous entraîne dans des contrées sauvages jamais fouillées par âme humaine et fait appel à notre souplesse et à notre ouverture. Venez voir ailleurs et autrement ! "
Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche
Extrait
Le garçon nommé Corbeau
- Et pour l'argent, ça s'est arrangé ? demande le garçon nommé Corbeau.
Il parle de sa façon habituelle, un peu lente. Comme quelqu'un qui sort à peine d'un profond sommeil et ne peut remuer ses lèvres tant elles sont engourdies. Mais ce n'est qu'une apparence : en réalité, il est parfaitement lucide. Comme toujours.
Je hoche la tête.
- Tu as combien à peu près ?
Je lui réponds après avoir à nouveau passé les chiffres en revue dans ma tête :
- Environ quatre cent mille en liquide. Sans compter une petite somme que je pourrai retirer avec ma carte bancaire. Ça ne suffira peut-être pas mais c'est un bon début
- Ce n'est pas mal, dit le garçon nommé Corbeau. C'est un bon début.
Je hoche la tête.
- J'imagine que ce ne sont pas les étrennes du père Noël, poursuit-il.
- Non.
Le garçon nommé Corbeau regarde autour de lui, les lèvres tordues par un sourire narquois.
- Cet argent sort du tiroir d'une personne qui vit dans les parages, c'est exact ?
Je ne réponds pas. Il sait parfaitement d'où vient cet argent II n'y a pas lieu de poser des questions détournées. Il le fait juste pour m'asticoter.
- Allez, c'est bon, dit le garçon nommé Corbeau. Tu as besoin de cet argent Absolument besoin. Alors tu te le procures. Tu l'empruntes en douce... Ou tu le voles, peu importe. De toute façon, c'est l'argent de ton père. Avec ça, tu pourras t'en sortir au début. Mais qu'as-tu l'intention de faire quand tu auras épuisé ces quatre cent mille yens ? L'argent ne pousse pas dans un porte-monnaie comme les champignons dans la forêt. Il faudra que tu manges, que tu trouves un endroit où dormir. À un moment ou à un autre, tes ressources finiront par s'épuiser.
- J'y réfléchirai le moment venu.
- J'y réfléchirai le moment venu.
Le garçon nommé Corbeau répète ce que j'ai dit, comme s'il soupesait mes paroles dans sa paume. Je hoche la tête.
- Tu trouveras du travail, par exemple ?
- Peut-être.
Le garçon nommé Corbeau secoue la tête.
- Dis donc, il va falloir que tu comprennes dans quelle société on vit Quel genre de travail crois-tu qu'un garçon de quinze ans, loin de chez lui, peut trouver ? Tu n'as même pas achevé ta scolarité. Qui va employer quelqu'un comme toi ?
Je rougis un peu. (Il m'en faut peu pour rougir.)
- Allez, ça va, dit le garçon nommé Corbeau. Inutile d'envisager le pire avant même de se lancer. Tu es décidé. Il n'y a plus qu'à passer à la phase de réalisation. C'est ta vie, après tout Au fond, tu fais les choses à ton idée.
Exactement c'est ma vie, après tout
- Seulement tu ne t'en sortiras pas si tu ne t'endurcis pas un peu.
- Je ferai des efforts, dis-je.
- Il faut reconnaître que tu t'es pas mal endurci ces dernières années, dit le garçon nommé Corbeau.
Je hoche la tête.
Un mot de l'auteur
Haruki Murakami est né à Kyoto en 1949. Après des études de théâtre et de cinéma, il ouvre un club de jazz à Tokyo avant de se consacrer à l'écriture. Pour échapper au conformisme de la société japonaise, il rêve d'Amérique, raison pour laquelle il devient le traducteur de Fitzgerald et de Carver.