Le Pitch
Présentation de l'éditeur
L'installation de l'école de la République vécue par une lignée d'instituteurs dans les Vosges.
"Il aimait cette clameur de réponses dans sa classe, cet élan des voix de jeunes garçons unies en une seule voix, un élan vers la connaissance qu'il était fier et heureux de partager avec eux. Il éprouvait une vraie jouissance à susciter le plaisir de la découverte chez les enfants, se souvenait, chaque jour, à chaque heure de classe, de ces paroles que Monsieur Abel Marichal, directeur de l'Ecole normale, répétait souvent à ses futurs instituteurs : " N'oubliez jamais que vous ne serez pas un vase plein destiné à remplir des vases vides ! " Il en avait fait, désormais, le moteur de sa vocation de maître d'école. " Deux familles que rien ne prédisposait à se rencontrer – l'une notable et traditionaliste, l'autre modeste et progressiste – s'unissent bon gré mal gré par le mariage de leurs enfants Rose-Victoire Dieudonné et Aimé Delhuis. Les deux fils du couple, Victor et Clément, suivront deux trajectoires et deux engagements différents. Dans la lignée des Dieudonné, Victor épouse une aristocrate et affiche un certain mépris à l'égard des siens tandis que Clément entre à l'Ecole normale d'instituteurs où, comme tous ses condisciples, il étudiera le violon. Gazé en 1915, il est évacué à Vittel où il rencontre sa future femme, Mathilde, normalienne elle aussi. Ensemble, ils prennent, dès la fin de la guerre, leurs fonctions et s'engagent avec passion pour la laïcité et l'éducation. Clément, les poumons rongés par l'ypérite, mourra en léguant à son jeune fils son amour de l'enseignement, de la musique et l'engagement dans la franc-maçonnerie que lui a transmis le maître luthier avec qui il avait entrepris la fabrication de son propre violon.
Extrait
Septembre 1873
Une nouvelle fois, on avait changé de régime.
Ce matin, le temps était à l'orage.
- Cherche, vas-y, cherche ! Je l'avais caché derrière les livres bleus, là, tu vois, le Moniteur des communes...
Énervé, luisant de sueur, col dégrafé, le maire Honoré Dieudonné encourageait l'homme comme il aurait encouragé un chien.
La mort en Angleterre du «dernier Bonaparte» lui avait redonné de l'énergie ! Au point que, à l'arrivée de la nouvelle au pays, il avait même pensé faire chanter un Te Deum pour «remercier le Créateur d'avoir délivré le monde de cette drôle d'engeance !». La rage au ventre, il avait dû renoncer à son projet, personne ne connaissant assez l'hymne pour ne pas l'estropier. «Dieu nous préserve du Prince Impérial», répétait-il en privé et en public, aux cérémonies civiles qu'il présidait flanqué de son état-major municipal, comme aux fêtes religieuses qu'il suivait avec dévotion dans la grande église à colonnes. «Les Anglais l'ont voulu... qu'ils le gardent !»
- Moniteur des com... Je te demande un peu !
Il s'était mis à grogner.
- Tout juste bon à allumer le feu et nourrir les rats !
Il entrouvrit l'oeil-de-boeuf qui donnait pleine face sur l'église pour aérer. Un courant d'air souleva aussitôt des tourbillons de poussière. Il referma d'un geste brutal.
La fuite récente du roi d'Espagne, les faillites bancaires autrichiennes provoquées par une gestion imbécile du crédit, leur extension à toute l'Europe et le refus du comte de Chambord de monter sur le trône sans le drapeau blanc lui nouaient les tripes depuis de longs mois. Toujours sur les nerfs, fiévreux, parfois agressif, souvent injuste, il ne décolérait pas. Débarrassé des Bonaparte, certes, mais pas encore heureux sous le sceptre d'un nouveau roi dans un pays redevenu monarchie !
- Cherche ! Je l'avais roulé dans une toile serrée aux deux bouts par une ficelle. Il n'a pas disparu, tout de même ! Allons, cherche !
- Han ! Han ! Han... faisait le colosse qui, cassé en deux sous la charpente, remuait des piles d'archives couvertes de chiures jaunâtres de loirs.
Une odeur acre le prenait à la gorge. Il toussotait, aurait voulu cracher, n'osait pas devant le maire.
- T'en