Le Pitch
Présentation de l'éditeur
En un peu plus d'un siècle, entre 1780 et 1920, le voyageur s'est métamorphosé. Les savants et les curieux de l'âge classique, gênés par les difficultés du déplacement et convaincus de la nécessité de partir pour connaître, se sont progressivement effacés. À leur place sont apparus des individus d'abord soucieux de jouissances sensibles et n'imaginant pas toujours que le voyage soit le meilleur moyen de faire avancer la science. Les raisons de ce changement sont multiples : techniques, politiques, industrielles, sociales et, peut-être avant tout, culturelles. Car une pratique originale du monde finit par tout emporter : celle que résume la figure du touriste, ses innombrables avatars (alpiniste, aventurier, baigneur, curieux, excursionniste, flâneur, globe-trotter, plaisancier, plaisirain, poète, sportsman, vélocipédiste, villégiateur) et son lot de déceptions inévitables. Tombouctou, c'était donc cette ville triste et pauvre où, dit René Caillié, on n'entend pas le chant d'un seul oiseau. Bien d'autres, qui n'allèrent pas si loin, pensèrent alors semblablement.Fort d'une méthode originale, Panorama du voyage propose, pour une époque cruciale, un inventaire passionnant de la totalité des façons de pratiquer et de se représenter le voyage.
Extrait
Extrait de l'introduction
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux.
René Char.
«Parmi les occupations que la mode encourage depuis trente ans», écrivait Alexandre de Laborde en 1808 dans son Itinéraire descriptif de l'Espagne, «il n'en est peut-être pas de plus raisonnable que le goût des voyages, soit qu'on le considère comme un moyen de s'instruire, de rétablir sa santé, de distraire des chagrins, ou, comme l'ambition, d'être utile et d'avancer les progrès des sciences». Le présent livre est fondé sur trois certitudes du début du XIXe siècle, parfaitement exprimées ici par Laborde : d'abord, l'existence, par-delà l'infinie variété des pratiques, d'un phénomène du voyage, reconnu comme tel par les contemporains ; ensuite, l'engouement pour celui-ci, à partir des alentours de 1780 ; enfin, la reconnaissance de fonctions majeures du voyage - l'étude, la découverte, la santé, le plaisir (on y ajoutera le pèlerinage) - autour desquelles s'est cristallisé, tout au long du siècle, l'ensemble des représentations du phénomène.
Ce sont ces représentations, leurs évolutions des années 1780 aux alentours de 1920, qui seront au coeur de ce livre. Vaste programme, sans doute : depuis longtemps, de très nombreuses recherches ont pris pour objet les voyages effectués à cette époque. On a étudié les tribulations d'innombrables explorateurs, pèlerins ou simples touristes ; les conséquences, grandes ou petites, des bouleversements des moyens de locomotion ; les récits des voyageurs et des voyageuses les plus célèbres et de tant d'autres, qui ne le sont plus - ou encore qui le sont devenus par la grâce des travaux qui leur furent consacrés. Face à ces bibliothèques en plusieurs langues, dont la lecture exhaustive est devenue presque impossible, que prétendre ajouter ?
Peut-être, justement, une synthèse. Tel sera en effet le pari de ce livre : n'enquêter sur aucun type de déplacement particulier, aucun individu particulier, aucune destination particulière, mais sur l'ensemble du phénomène du voyage, dans sa plus grande généralité ; proposer un inventaire complet de toutes les formes revêtues par ce phénomène au XIXe siècle ; examiner l'ensemble des mots, des figures, des pratiques par lesquels un homme ou une femme pouvait alors se transformer - à ses yeux comme à ceux des autres - en voyageur, ou en voyageuse.
Les historiens et le voyage
Rappelons de quelle façon s'y sont pris les historiens qui, si nombreux, se sont intéressés jusqu'à aujourd'hui au phénomène du voyage. Dans l'ensemble, ils ont envisagé celui-ci de trois façons très différentes. Ils en ont fait, d'abord, un facteur explicatif, l'un des éléments d'une ch