Le Pitch
Présentation de l'éditeur Février 1938, 11 rue de l’Assomption, Paris : devant la grille d’une maison cachée dans un jardin, un homme vieillissant s’apprête à rendre les armes. A soixante-six ans, écrivain et poète légendaire, professeur au Collège de France, père de famille et mari aimant, il est le grand personnage de la Troisième République. Pourtant, c’est un homme sans défense qui s’engage dans une bataille qu’il s’était juré de ne plus livrer : celle du cœur. Paul Valéry est amoureux, et Jeanne Voilier la plus terrible des guerrières.Avocate, éditrice, divorcée et libre de mœurs, courtisée par les plus grands, elle a pris sa revanche sur ses origines lorsqu’elle rencontre Paul Valéry. Lui aussi a connu d’autres femmes, mais jamais il n’a laissé l’amour briser la forteresse de son esprit ou nuire à sa famille et à son écriture. Le corps sculptural de Jeanne, son sourire, son charme mystérieux auront raison de lui : la passion va le submerger. C’est l’histoire d’un amour brûlant que nous raconte Dominique Bona. Biographie d’un couple hors du commun, talentueux, tendre, cruel, traversé par la littérature et par la grande histoire… Extrait Un petit homme fragile Un petit homme, fragile et décharné, sonne à la grille d'une maison, dans le quartier d'Auteuil. Ses fenêtres allumées éclairent à peine la rue déserte. Façade et volets gris, toit d'ardoise, sur deux étages, jardin sans feuilles de l'autre côté du mur, pareil silence est assez rare à Paris pour qu'il le remarque. Quatre heures de l'après-midi, ce 6 février 1938 : la nuit commence à tomber. Une lumière d'hiver plombe le décor. Le petit homme, vêtu d'un pardessus sombre, sonne au battant de fer. Épaules voûtées, l'air fatigué, usé déjà, Paul Valéry n'est pas un vieillard, mais sa jeunesse est loin. Teint cireux, taches sur les mains. Son élégance donne le change. Il a encore ce pas de fantassin qui fait l'admiration de ses amis. Par coquetterie, il évite d'utiliser une canne, bien qu'on le lui recommande. Il ne veut pas avoir l'air vieux, et surtout pas aujourd'hui. C'est le chapeau à la main qu'il se présente à la grille. Il vient ici pour la première fois : 11 rue de l'Assomption. 16e arrondissement. Une adresse élégante, mais discrète. A l'écart de ces hôtels particuliers de l'aristocratique boulevard Saint-Germain ou de la luxueuse place des États-Unis, dont il est l'hôte recherché, l'atmosphère est ici plutôt provinciale : surgie dans un parfum d'herbe mouillée et de mousse hivernale, c'est même la campagne à Paris ! Le calme, en particulier, lui paraît insolite, il en a perdu l'habitude. Il est dépaysé. Une douceur inattendue lui caresse le nez, la moustache, et lui ferait presque monter les larmes aux yeux. A soixante-six ans, il poursuit toujours le même rêve. Un rêve impossible : atteindre la paix qui se refuse, paix du corps et de l'âme, paix de l'esprit qui peine à se réconcilier. Vivre enfin tranquille, à son âge, beaucoup y sont parvenus. Pas lui. La sérénité, malgré ses efforts, lui est refusée par un démon qui s'acharne à lui trouver toutes sortes de tâches et d'obligations : il ne sait pas dire non. C'est l'engrenage du succès, la rançon de la gloire. Au moment de sonner ici, il a la nostalgie d'un temps où il avait le temps. Son agenda déborde de rendez-vous. Son existence, dès cinq heures du matin, est réglée par une discipline sévère. Chaque minute compte pour ce travailleur inlassable, qui est aussi un incorrigible mondain. Ses heures ne sont jamais creuses. Il écrit : des livres, des préfaces, des discours, des articles et, quand il en a fini avec la litanie des contrats, il noircit des pages et des pages de cahiers personnels. Il a pris l'habitude de noter pour lui-même les étapes de sa pensée et d'observer sans relâche le mécanisme de son cerveau : il se regarde pensant. Il parle aussi beaucoup devant des auditoires captivés par son langage de mage. Car il sait être foudroyant de clarté pour expliquer des choses abstraites et les