Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Aimée F. a 70 ans et le regard bleu très vif. Elle est drôle, délicieuse, menue, élégante. Ancienne institutrice, elle est mariée à un écrivain philosophe, un homme très doux et affectueux. Imprégnée d'amour et de foi, ouverte et gentille, elle n'est ni mystique ni érotomane ni paranoïaque. Mais elle entend des "voix". Des oiseaux lui "parlent", la raillent, l'insultent, la harcèlent. Aimée mène contre ces voix une lutte épuisante. Pour sortir de ce cauchemar qui n'en finit pas, elle se décide à rencontrer un psy - mais à ses conditions à elle... Est-il anormal d'entendre des "voix"? Comment faire pour les "déjouer"? Un témoignage exceptionnel, d'une rare puissance, sur le sens de la "folie", dans la lignée du Président Schreber de Freud.
Extrait
Avant de parler des «voix» que j'entends, il me paraît indispensable d'expliquer l'aventure malheureuse et au long cours qui m'est arrivée au fil de ces dix dernières années.
Notre appartement donne d'un côté sur des tours et de l'autre sur une cour-jardin avec corbeaux, pies et merles. Donc, une année, un oiseau au plumage marron et au bec jaune se posa sur la balustrade de la salle à manger, au moment même où je téléphonais. De biais, l'oiseau que je pris pour une merlette me regarda d'une façon peu engageante. A l'amie qui était au bout du fil, je dis, tout de même, d'un ton qui se voulait enjoué : «Un oiseau vient de se poser sur une de mes balustrades !» Mais en fait, je ressentis, sans la comprendre, une inquiétude bizarre.
A quelques jours de là, dans la cour, j'entendis bien distinctement un oiseau dans les arbres qui me dit : «Je t'ai vue et tu m'as bien plu.» Je ne répondis pas. Sous les notes, l'oiseau avait mis du sens exprimé en français. Mon mari m'apprit que seuls les merles sifflaient mais je continuais à m'imaginer qu'il s'agissait d'une merlette.
Puis, au fil des jours, j'entendis plusieurs fois : «Tu es merveilleuse !...» Je me dis que l'oiseau était peut-être sensible aux morceaux de musique que je jouais au synthétiseur. Ce qui me mit en confiance. Suivit : «Tu as la ligne !» Imprudemment, innocemment, par pure politesse, je répondis mentalement : «Mais toi aussi, tu es merveilleuse et bien profilée.»
Prenant des forces avec l'avancée du printemps, l'oiseau se mit à chanter de plus en plus fort, en m'empêchant de dormir une bonne partie de la nuit. Mentalement, je lui demandai d'aller chanter plus loin, ce à quoi il répondit : «C'est bien joli, mais après tout, moi aussi j'habite ici.» Je dus vivre, à partir de cette époque-là, avec deux boîtes de boules Quies : une pour la nuit et l'autre pour le jour. La dernière étant posée sur mon bureau, afin de pouvoir lire la presse ou étudier un peu d'anglais relativement sereinement.
Dans la journée, l'oiseau avait pris l'habitude de passer par-dessus le toit, étant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Un matin, sans l'avoir voulu, j'entendis un merle jouer les profs. Cinq à six buissons plus loin, quelques merleaux répétaient d'une voix pâle : «Je t'ai vue et tu m'as bien plu, etc.»
Les années passant, de plus en plus de merles me harcelaient pendant des heures, côté tours et côté jardin. Ils voulaient que je leur réponde. Mais moi, je ne désirais que de la tranquillité et du silence. J'attendais leur départ avec impatience en début d'été.
Les dernières années, ils se faisaient méprisants : «Tu es vieille ! Tu es une petite vieille !» Ton de dégoût prononcé, d'une voix de plus en plus forte. L'année dernière, en 2009, leur nombre avait augmenté et ils se servaient de moi comme d'un jouet à manipuler, à martyriser.
Un après-midi, je me mis à prier Dieu en lui demandant de me délivrer de ce harcèlement et que justice soit faite. Un des merles se moqua de moi, me charriant sur le mot justice ! Quelle justice ? Je ne pouvais même plus prier, ils interceptaient une part de mes pensées. Le lendemain, un des leurs me demanda sur un ton angélique : «Si tu veux rester seule, dis