Présentation de l'éditeur Il est midi. C'est l'heure - comme ils disent eux-mêmes - de " l'apéro des dingos " : la distribution des pilules, poudres et gélules endormeuses et tranquillisantes que chaque dingo doit absorber, sous le contrôle de l'infirmière de service, dite la dealer. " Les âmes excessives émettent des signaux qu'identifient aussitôt leurs pareilles ", écrit la romancière et journaliste Anne Vergne, dans ce texte dont le style va " droit aux nerfs, droit à l'émotion ", comme le recommandait l'écrivain-médecin Louis-Ferdinand Céline. Mais au fait, qu'est-ce qu'un dingo ? Un mot d'argot un peu dépréciatif ? Non, le dingo n'est pas forcément un fou furieux et si on le cloître parfois, pour un temps variable, en clinique psychiatrique, c'est souvent pour le protéger de ses entreprises délétères. Et, de tous les cloîtrés, c'est sûrement lui, dans sa lucidité, le plus malheureux. D'où son besoin de se rapprocher des autres dingos, pour se réchauffer. Après tout, qui de nous, de temps à autre, n'est pas une âme excessive ? Revue de presse On les appelle civilement et médicalement, les déprimés, les dépressifs, termes on ne peut plus vastes et mystérieux. Anne Vergne ne passe pas par quatre chemins et les surnomme "les dingos". Pas des chiens fous pourtant. Plutôt engoncés dans leurs cages corporelles, plutôt étrangers à eux-mêmes ceux qui lentement et laborieusement arpentent les couloirs des hôpitaux psychiatriques. Beaucoup de théories ont été et sont élaborées autour de cette glissade sans jalon. L'apéro des dingos rend toute théorisation obsolète. L'auteur, secouée elle aussi par cette torpeur indélébile, parle une langue immédiate et juste. Son récit, construit sous forme de fragments pudiques mais précis, serrés, coule comme un chant langoureux, s'anime parfois de spasmes de révolte. Anne Vergne alterne sa perception, son vécu et ceux d'une foule d'autres dingos. Que leurs drames soient ou non concrets, ces décharnés de la vie parlent mieux d'elle de ceux qu'on considère comme "normaux". Parce qu'ils éprouvent la mort ? Non, pas. "La mort est une petite histoire qui ne tient pas de place " écrivait Stanislas Rodanski. Là est peut-être, lorsqu'émerge cette lucidité peu amène, le talent de vivre. Là, dans cet espace, les dingos se tiennent. " Ca nous a pris très jeunes. Nous pensons- mais dans le fond, on s'en fout - que c'est quelque chose dans la façon de voir. Comme si on avait une loupe dans chaque œil et qu'on ne rate jamais aucun détail, surtout s'il peut planter une épingle en pleine chair. C'est notre théorie de dingos." En évitant le littéraire et le propos ethnologique, Anne Vergne donne à sa narration le ton de la pertinence. La réussite n'est alors plus dans le mot mais dans une unique et simple trace : l'offre d'un réel malmené et ignoré. -- Sylvaine Jeminet-- -- Urbuz.com