Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Connaissez-vous Gertrude Stein ?
Rose is a rose is a rose...
Certes, mais encore ?
A Paris, où elle vécut pendant près d'un demi-siècle, on entend de plus en plus souvent, ces dernières années, le nom de Gertrude Stein. Et pourtant, malgré de nouvelles traductions, on semble se contenter de citer toujours les mêmes anecdotes, rarement à son avantage.
Or cette femme eut en son temps une influence considérable, et elle est aujourd'hui aux États-Unis une figure tutélaire de l'avant-garde et du féminisme.
Qu'a-t-elle donc écrit pour occuper une telle place ?
Quelles relations la «Cubiste des Lettres» entretint-elle avec la peinture et avec Picasso, qui fut son ami jusqu'à sa mort ?
Et que raconta donc la «Sibylle de Montparnasse» aux deux générations successives de jeunes Américains qui, captivés, ont fait cercle autour d'elle et l'ont vénérée ?
De la Californie de son enfance aux champs de bataille de l'Argonne, de Montparnasse aux montagnes du Bugey où, Américaine, juive et homosexuelle, elle survécut à l'Occupation, ce livre retrace une vie libre, peu soucieuse du politiquement correct, et la démarche créatrice hautement singulière d'une femme beaucoup plus intelligente que sa légende.
Nadine Satiat est docteur en littérature comparée, biographe, éditrice intellectuelle, productrice radio. Sa précédente biographie, Maupassant (Flammarion, 2003) a reçu le prix Pierre-Georges Castex, de l'Académie des Sciences morales et politiques, et le prix Émile Faguet, de l'Académie française.
Extrait
LE TEMPS DE LA LÉGENDE
Je ne sais si je dois évoquer les choses dont je ne me souviens pas au même titre que celles dont je me souviens. Tout d'abord, je suis née, je ne m'en souviens pas mais on me Ta souvent raconté, je suis née non pas durant la nuit mais vers huit heures du matin. Mon père, quand il avait des reproches à m'adresser, me faisait observer que, pourtant, j'étais née parfaite.
Gertrude Stein, Les Guerres que j'ai vues (1945).
Michael et Hannah Stein, originaires de Bavière, quittèrent la vieille Europe à bord du Pionnier au cours de l'été 1841 - comme avant eux déjà des dizaines de milliers de juifs d'Europe centrale, las des persécutions et de la pauvreté. Lettre après lettre, Meyer, leur fils aîné, comme tous ceux qui avaient fait le voyage, leur avait peint un pays ouvert et libre, où chacun pouvait gagner sa vie. La mère, une «grande montagne» de femme, écrirait Gertrude Stein d'après ce qu'on lui raconta, se laissa convaincre et entraîna le père, qui fit violence à sa nature douce et contemplative et ne survécut d'ailleurs que quelques années à la transplantation. Après huit ou neuf semaines de navigation transatlantique, ayant laissé derrière eux trois fils et une fille déjà établis, ils débarquaient début septembre dans le port de Baltimore (Maryland) avec leurs quatre plus jeunes fils, Levi deux ans, Solomon cinq ans, Daniel presque neuf ans, Samuel dix ans. Meyer les attendait sur le quai. Et tandis que Le Pionnier repartait chargé de tabac, les Stein s'installaient dans une maison de bois parmi les quelque deux cents familles juives immigrées qu'accueillaient alors les faubourgs à l'est de la ville - cinq cents familles supplémentaires afflueraient au cours de la décennie.
Baltimore la sudiste ne persécutait que les noirs et ne connaissait pas l'antisémitisme. Toutes les professions étaient ouvertes aux juifs, y compris dans la fonction publique. Les frères Stein ne tardèrent pas à prospérer. Meyer, d'abord simple colporteur en vêtements d'occasion, ouvrit en 1852 avec Samuel l'entreprise «Stein and Brother, Manufacturers and Dealers in Clothing» (Stein et Frère, fabricants et marchands de vêtements). Quelques années plus tard, lorsque leurs trois jeunes frères devenus de jeunes hommes les eurent rejoints, l'entreprise «Stein Brothers» (Stein Frères), installée dans un immeuble de six étages, avait pignon sur rue dans Baltimore Street. Au sous-sol s'empilaient lès roul