Le Pitch
Présentation de l'éditeur
"Je porte en moi la mélancolie des races barbares, avec ses instincts de migrations et ses dégoûts innés de la vie, qui leur faisait quitter leur pays, pour se quitter eux-mêmes." Dans cette déclaration de Gustave Flaubert (1821-1880), qu'y a-t-il de vrai ? Le migrant, à part le grand voyage en Orient et quelques escapades en Bretagne, en Angleterre ou en Corse, a surtout vécu dans le "trou" qu'il s'est "creusé" à Croisset, sa demeure normande, où il écrit son oeuvre et où il meurt foudroyé. Peut-on se fuir soi-même, bien qu'on professe la poétique de l'"impersonnalité" ? Peut-on lâcher son siècle ? Le détester, oui, lui préférer une Antiquité imaginaire, certes, mais Flaubert, comme tout le monde, est entraîné dans les tourbillons du temps. Son oeuvre portera cette double marque : le rêve carthaginois d'un monde flamboyant à jamais disparu mais recréé et la peinture vengeresse du siècle de Monsieur Prudhomme et du pharmacien Homais. Michel Winock porte un regard d'historien sur cette vie tout entière vouée à la littérature. Il raconte l'enfance créative de l'écrivain, le suit dans ses pérégrinations de jeunesse, décrit ses amours tumultueuses, l'accompagne dans les salons parisiens et met en scène sa ferveur dans l'amitié - Maxime Du Camp, George Sand, les Goncourt, Zola, Daudet, Maupassant, Tourgueniev... Son dégoût proclamé de la vie, Flaubert ne l'a transcendé ni par l'expérience amoureuse (somme toute décevante), ni par la foi en Dieu (il est incroyant), ni par quelque idéal politique (scepticisme revendiqué), mais par la religion de l'Art, dont il fut un pèlerin absolu.
Extrait
Avant-propos
Pourquoi écrire une biographie de Flaubert ? Une de plus... J'avais lu Madame Bovary et L'Éducation sentimentale dans mes années de lycée, mais sans délectation. C'est au cours de mes études de lettres à la Sorbonne que je l'ai vraiment découvert. Au programme du certificat de littérature française figurait L'Éducation sentimentale, qui m'avait si peu comblé. La relecture de ce roman, enrichie par de multiples travaux qu'il avait suscités, m'a retourné : le chef-d'oeuvre m'était dévoilé. Je n'étais pas seul. Je me souviens de ces après-midi au jardin du Luxembourg où, avec quelques camarades, préparant ensemble notre examen de fin d'année, nous nous récitions des passages de L'Éducation : le rire et l'admiration rivalisaient. Transfuge des lettres, converti à l'histoire, je fis accepter par mon professeur Louis Girard, grand connaisseur du XIXe siècle, un mémoire de DES (l'ancienne maîtrise) sur «Flaubert historien de son temps». Depuis lors, je n'ai cessé de le relire. Le déclic fut la sortie, en 2007, dans la «Bibliothèque de la Pléiade» du cinquième et dernier tome de l'éclatante Correspondance, dont nous devons l'édition savante à Jean Bruneau, secondé par Yvan Leclerc.
En écrivant cet ouvrage je n'entends d'aucune façon concurrencer et encore moins rejoindre la cohorte des spécialistes attitrés de Flaubert, français ou étrangers, qui, depuis des lustres, n'ont cessé d'ajouter travaux sur travaux, d'éditer des inédits et de se livrer avec virtuosité à ce qu'on appelle la «critique génétique». Parmi eux, je remercie particulièrement Yvan Leclerc et son équipe du centre Flaubert de l'université de Rouen, dont j'ai apprécié les services et l'accueil si généreux.
Je vise seulement dans ces pages à faire partager par le public l'intérêt que j'ai pour «l'ermite de Croisset», en campant la vie d'un homme dans son siècle. Une biographie pour le plaisir, mais une biographie d'historien.
La vie et l'oeuvre de Gustave Flaubert s'inscrivent dans le grand siècle de la transition démocratique en France : fin définitive de la société d'ordres remplacée par une société de classes, montée progressive de la revendication égalitaire, instauration du suffrage universel, sécularisation de la société, révolution industrielle, naissance du prolétariat et essor des doctrines socialistes, libération progressive de la p