Le Pitch
Présentation de l'éditeur
Malik a eu d’excellents résultats à l’école, de quoi être tout simplement fier. Mais cette situation devient subitement difficile à gérer quand on s'appelle Shérif, que son père ne peut pas signer le carnet de notes, et que les copains sont cruels... Heureusement que Malik n'est pas né de la dernière pluie ! Un très beau texte, plein d'émotions et de tendresse, et une belle évocation de la complexité des rapports père-fils, suivi d'un entretien avec Azouz Begag.
Extrait
Celui qui n'est pas né de la dernière pluie
Le silence a bloqué les portes de la classe, pendant que le maître lit la rédaction de Malik Shérif aux élèves assis comme des oisillons dans leur nid, la tête posée dans leurs mains ouvertes en Y et leurs bouches en Q de poule. Dans les yeux bleus du maître on dirait que des bateaux passent. Sa voix crépite à petit feu sur ses lèvres. Ses mots envoûtent, ils ensorcèlent. Au moment où il reprend son souffle entre deux phrases, on entend passer un papillon égaré qui cherche une issue de secours, il dérape sur la fenêtre de la classe, bat des ailes contre le carreau, puis finit par se poser. De mémoire d'enseignant, M. Sauveur n'avait jamais vu pareille attention à la lecture d'un texte. Il lui met un A et recommande aux élèves de prendre exemple sur Malik Shérif.
Le papillon s'est posé sur son bureau, juste sur le museau du renard empaillé.
Malik Shérif c'est moi. Mes ancêtres qui ont choisi ce nom de famille ne pouvaient pas deviner qu'il allait m'attirer tant de soucis dans la cité du Val-Fourré où j'habite, à cause des films de western où le shérif c'est le policier. De toute façon, je me suis habitué, mais ce n'est pas ça qui m'énerve le plus : je n'ai pas du tout aimé cette recommandation du maître de prendre exemple sur moi. Elle attire le mauvais oeil. Prendre exemple sur quoi, d'ailleurs, ça ne veut rien dire du tout. Prendre exemple sur ce qu'il y a dans mon cerveau ? On ne peut pas. Quand j'invente des histoires, je vois des choses que personne d'autre que moi ne peut voir. Par exemple, dans cette rédaction que le maître vient de lire, j'ai imaginé que je faisais un voyage de Gulliver autour du monde dans une bulle de savon, je voyais des merveilles à travers les couleurs de l'arc-en-ciel : c'était tellement beau que les mots n'avaient plus rien à dire, ils avaient peur de sortir, mais j'ai réussi à en saisir quelques-uns pour les faire parler. Quelle aventure ! Je survolais les immeubles, prenant garde à ne pas heurter les antennes de télévision, et beaucoup d'habitants du Val-Fourré, en me voyant passer au-dessus d'eux dans ma bulle multicolore, me suppliaient de m'arrêter et de les prendre à bord de mon vaisseau spécial, «Hé Malik, vas-y, fais-moi une place !» lançait l'un. «Et moi aussi, oh, descends !» disait un autre. Ils voulaient tous voir la terre vue du ciel. Mais c'était impossible, il n'y avait qu'un siège dans la nacelle. Alors, mécontents, certains jetaient des cailloux contre mes vitres fragiles pour crever ma bulle et me voir m'affaler sur le parking de la cité... Plus j'inventais l'histoire, plus j'avais moi-même l'impression qu'elle était vraie, c'était une drôle de sensation. Je m'étais alors rendu compte que plus je croyais à ce que je faisais et plus ça semblait authentique. Alors je me suis mis à croire à mes rêves.
Biographie de l'auteur
Azouz Begag (né en 1957) est chercheur français en économie et sociologie. Il a été ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances. Il a publié une vingtaine de livres dont la plupart ont pour sujet les différents problèmes auxquels sont confrontés les jeunes d'origine maghrébine, dont il veut valoriser la culture et auxquels il propose des modèles positifs d'identité.